Volte-face

Texte concourant du concours Lecture en tête :
Déjà 25...

Édition 2017

   Déjà 25 minutes. Encore une heure de train et il arriverait à destination. Lassé de voir défiler un paysage de champs et de montagnes s’étendant à l’infini, il prit le journal qu’il avait posé sur le siège d’à côté un peu plus tôt, et commença à le lire en diagonale. Inintéressant comme d’habitude. Il reposa négligemment le quotidien en soupirant. Il ne lui restait plus qu’à attendre. Toujours attendre. Un comble pour lui qui n’était absolument pas patient. Il gratta sa barbe de deux jours et se perdit dans ses pensées. C’est à peine s’il entendit le grincement des freins sur les rails. Il fut projeté en avant. Des cris fusèrent de toute part en plus du vacarme du train. Allongé par terre il essaya de se relever sans grand succès. Les jambes bloquées par son siège il regarda autour de lui, paniqué. Quelque chose se décrocha du plafond. Puis plus rien. Noir.


   Un bip retentissait à intervalle régulier. Dans le lointain le bruit des portes qui s’ouvrent et se ferment. Mais toujours ce noir environnant. Sous ses mains, un tissu un peu rêche au touché. Il essaya de bouger sans y parvenir. À la place une insupportable douleur dans tout son être lui rappela qu’il était encore vivant. Mais pour combien de temps ? Que s’était-il passé ? Des cris retentissaient dans son esprit. Et puis plus rien. Juste une migraine épouvantable venant remplacer des bribes de pensées. Puis il replongea dans les ténèbres.


   Une voix parlait près de lui alors qu’il somnolait encore. Sans le savoir, elle l’extirpait peu à peu d’un cauchemar terrifiant qui n’avait de sens que dans le monde du rêve. Il remercia – pour lui-même – cette petite voix qui lui épargnait des songes angoissants. Il essaya de se focaliser dessus. Une voix de petite fille. Tout ce qu’il savait c’est qu’il la connaissait. Se rappeler d’où lui était impossible. Mais la présence de cette voix le rassurait alors qu’il n’y voyait toujours rien. Tout ce qu’il voulait c’est que cette voix ne s’arrête jamais de parler. Même s’il ne comprenait pas un seul mot, il avait un réel besoin d’entendre son chuchotement dans le noir de sa tête. Il resta éveillé tentant de percer le secret de cette voix, et quand elle se tut, il se perdit dans un gouffre de rêve sans but précis.


–    … Aller réveille toi. Je sais que tu m’entends ! Enfin j’espère. Serre-moi la main !
   Une petite main se glissa dans sa paume. La petite fille était revenue. Ses mots n’avaient aucun sens pour lui, mais la chaleur des petits doigts dans les siens lui parut comme extraordinaire. Comme s’il n’avait jamais rien vécu d’aussi intense. Alors qu’il essayait d’oublier la souffrance de son corps et de son âme, on lui offrait ce petit cadeau chargé d’émotion. La petite main commença à se retirer doucement. Il mit toutes ses forces pour tenter de resserrer sa paume et étreindre cette main qui lui apportait tant de réconfort. Trop tard, elle était partie.


   Il s’éveilla à demi. Une présence venait de s’approcher de lui. Une odeur lui titillait le nez. Il sentit une aiguille s’enfoncer dans ses membres engourdis. Il n’aurait su dire dans lequel précisément. Est-ce qu’il avait eu mal ? En comparaison à la douleur que lui faisait subir tout son corps, il l’avait à peine senti. Après un temps l’aiguille se retira. Il l’avait déjà oublié. Il avait capté une odeur. La première depuis ce qui lui semblait être une éternité. Une senteur de Bétadine venait emplir ses narines. Puis il se recentra sur la présence. Elle ne lui était pas familière. Il s’engouffra dans ses rêves.


   Vanille. Ce parfum faisait surgir en lui des souvenirs oubliés. Il lui revient cette pensée d’un arôme entêtant, entouré de chaleur. Une odeur qu’il associait à elle. À la petite fille. C’était elle qui avait amené cette fragrance. Il l’entendait respirer à son côté. Elle était revenue pour lui. Il se laissa réconforter par son odeur sucrée, et laissa le souffle de l’enfant bercer son cœur comme à l’écoute d’une douce musique. Il savait qu’avec elle, ses maux disparaissaient et qu’il pourrait enfin s’endormir en paix.


   Des cris retentissaient de tous les côtés, et le bruit strident des freins que l’on tire de toutes ses forces se répercutait dans sa tête, le réveillant en sursaut, trempé de sueur. Un cauchemar. Rien qu’un cauchemar. Il s’apaisa lorsqu’il se rendit compte que le bruit qui le tourmentait s’était tu. Il était seul, allongé quelque part sur une sorte de matelas, dont le confort laissait à désirer. Puis cette solitude qui l’avait conforté dans son cauchemar lui fit soudain peur. Peur d’être mort. Il se rassura en se disant que les morts ne pensent pas. Mais en était-il sur ? Personne n’était jamais revenu pour le confirmer. Mais il s’attacha tout de même à cette pensée, les morts ne pensent pas. Cette solitude continua à lui glacer les sangs. Impossible de se rendormir, de peur de retomber dans ce cauchemar. Impossible de rester éveillé, de peur d’être seul à tout jamais. Penser, il fallait qu’il continue de penser. Mais il eut peur. Peur du vide et de l’ennui. Peur de la solitude. Il était loin de tout, avec pour seule occupation les rares visites qu’il recevait, et la piqure des infirmières. Son esprit reprenait conscience. Mais il n’avait pas envie. Il souffrait et il ne voulait plus souffrir, plus réfléchir, juste partir. Il n’avait aucune raison de rester en vie, il resterait surement infirme longtemps si ce n’est jusqu’au bout. À quoi bon vivre pour cela ? Quoique … la mort faisait peur elle aussi. Froide, lente, et puis si vide et irrévocable. Il réfléchit. Il avait déjà l’impression d’être mort. Il n’avait rien pour s’occuper, rien qui ne lui permettait d’avoir le sentiment d’exister, il restait juste allonger, à attendre que les heures passent. Il avait besoin d’être, de combler ce vide qui se formait peu à peu à cause de son infirmité. C’était ça le but de la vie. Vivre, sans cesse pour combler cette solitude qui nous rattrape tous. On travaille, on fonde une famille, on se consacre à une passion, on voyage, on se cultive, on s’émerveille… et lui il était dans ce lit à attendre sa mort. Le temps semblait si long, toujours plus long, toutes les heures se ressemblaient, et les rares épisodes de compagnie passés comme un battement de cœur. Il n’avait plus de but, seulement l’ennui qui s’installait peu à peu comme routine. Alors il replongea, il arrêta de réfléchir et se rendormi. La solitude l’avait épuisé.


   Il avait tenté. En vain, il s’était encore évanoui. Et il se réveillait. Toujours au même endroit. Comme si le sort s’acharnait contre lui. Tout lui semblait si difficile. Même mourir. Il était un incapable. Il avait tout raté. Même sa mort. Et il ne pourrait plus jamais recommencer sa vie. Tout était vide. Froid. Glacial même. Triste en somme. Ses oreilles semblaient bourdonner pour ne plus entendre quoi que ce soit. Pourquoi ? Elles étaient le seul sens qui le tenait accroché au monde. Et maintenant ? Elles refusaient d’écouter. Refusaient d’entendre. Il allait devenir fou. Peut-être l’était-il déjà ? À ruminer ses pensées à longueur de journée. Oh oui ! Quelle jolie prison. Et qui l’avait enfermé là ? Lui-même bien sûr ! Prisonnier de ses pensées. En voilà une cellule ! Un cerveau, c’est tout ce qu’il suffit. Il n’y a rien de plus sombre après tout. Pire encore quand ses idées noires resurgissent ! Que les peurs refont surface ! De quoi avait-il peur déjà ? Ah oui, de l’ennui. De la mort aussi. Un peu. Des fantômes ! Non, peut-être pas autant que ça en fait. La mort, elle, elle faisait peur. Mais pas pour lui. Non, lui c’était son souhait qu’elle arrive enfin ! Il l’attendait ! Il l’a cherché ! Mais non ! Elle ne voulait pas de lui… Elle le laissait là, dans sa geôle. Fou.

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