Sous la surface

Texte finaliste du concours de nouvelles de Bourg en Bresse : Respiration

Édition 2020

23 Mai 2241 – Tard dans la nuit

  Tout s’était figé au moment où son corps s’était fait absorber. Le bruit de l’extérieur s’était atténué, voire c’est à peine si elle l’entendait. Les yeux fermés, le nez bouché par sa main droite, seules comptaient désormais les bulles d’air qui sortaient petit à petit de sa bouche. Il lui fallait économiser l’oxygène de ses poumons. Tout semblait calme ici. Elle tenta d’ouvrir les yeux pour se repérer. Le sel les lui piqua comme pour la gronder, mais elle persista. L’eau l’enrobait de sa robe noire, et sous la lumière de la lune, la mer s’éclairait d’une nouvelle façon à ses yeux. Sa vision, bien que floue, n’en gâchait qu’à peine le spectacle. Depuis son saut de la falaise, son cœur s’était calmé. Puis trop vite, la situation de l’instant lui revint en mémoire… comme une claque. Son cœur réaccéléra comme il savait si bien le faire.

23 Mai 2241 – Un peu plus tôt dans la nuit

–    Ai-je bien entendu ?
–    Oui, je veux quitter la Résistance, dit-elle.
–    Tu es sûre de toi ? posa calmement son chef.
Comment cette gamine pouvait-elle être aussi inconsciente ? pensa-t-il. Pourtant les règles étaient bien claires depuis le début. Rentrer dans la Résistance était irréversible. La seule façon d’en sortir était de mourir. Les informations qui transitaient parmi les membres étaient bien trop importantes pour que l’on puisse se permettre une fuite. Au moindre écart, c’était le sort de l’humanité qui se jouait. Comment pouvait-elle être aussi calme sachant que la mort l’attendait ? Et puis sa mort serait vraiment dommageable. Il avait eu de grands espoirs pour elle depuis qu’elle était rentrée sous ses ordres. Une ressource compétente. Une personne rare de nos jours.
–    Oui, je ne suis pas d’accord avec votre manière de faire, dit-elle d’un ton non équivoque.
Il se gratta le peu de barbe qu’il avait réussi à faire pousser sur son menton.
–    Tu sais que c’est la mort qui t’attend ?
Une lueur s’était allumée dans les yeux de Miléna. Il ne la remarqua pas. Il était chef, oui, mais n’avait jamais eu beaucoup d’égard pour ses subordonnés. Aussi il ne les connaissait que très mal. Il ne remarqua pas non plus le geste de sa main dans sa poche de pantalon. C’est seulement lorsqu’elle leva les bras vers le ciel, qu’il comprit que quelque chose se tramait. Au moment où il s’apprêtait à se lever, deux drones lui passèrent à côté filant à vive allure vers leur propriétaire. Miléna les attrapa au vol.

23 Mai 2241 – Tard dans la nuit

    Des balles commençaient à percer la mer à côté d’elle. Plus qu’elle ne les voyait, c’était surtout le bruit qu’elles faisaient en transperçant l’eau qui lui donna cette information. Il fallait qu’elle se sauve et vite. À contrecœur elle arrêta de se pincer le nez pour commencer à nager avec ses deux bras. Toujours immergée. Elle avait l’intuition que remonter à la surface signerait son arrêt de mort. Il lui fallait faire vite. Elle se remémora l’îlot qu’elle avait vu un peu au large de la baie lorsqu’elle avait préparé son plan de sortie. Elle y serait en sécurité. Pour le moment. Il lui fallait rester le plus longtemps possible à l’abri de la mer. Elle commençait à peiner. L’effort plus le temps sous cette voute liquide commençaient à raréfier l’air qui lui restait. Il fallait continuer. Elle entendit une nouvelle balle pénétrer l’eau. Au même moment, elle lâcha un cri qui s’étouffa en des dizaines de bulles. Une douleur dans la cuisse gauche lui confirma qu’elle avait été touchée. Mais ce n’était pas le plus grave. Elle avait perdu beaucoup d’oxygène en criant. Trop d’oxygène. Il fallait qu’elle remonte.

23 Mai 2241 – Un peu plus tôt dans la nuit

    Miléna filait à vive allure, poussant les portes du hangar avec ses pieds tout en étant solidement accrochée aux drones. Elle les avait préprogrammés pour qu’ils l’emmènent à l’ouest de la ville, direction un îlot en pleine mer où personne n’osait se risquer pour d’obscures raisons. C’était sa porte de sortie. Entre la mort et l’inconnu, elle préférait l’inconnu, quel qu’il soit. Au fond, elle espérait que son choix les dissuaderait de la suivre. Mais les informations allaient trop vite dans ce monde. Même non équipée d’implant de communication, la Résistance avait ses moyens de transmission propre et tout aussi rapide. Elle s’en rendit compte lorsqu’elle entendit des balles fuser dans sa direction et passer tout proche de ses oreilles. Certains tirs semblaient la viser quand d’autres s’activaient sur les drones qui la portaient. Au moment où elle passa au-dessus de la falaise donnant sur un vide vertigineux, elle entendit un énorme choc au-dessus de sa tête. L’un des drones avait été touché et commençait à cracher une épaisse fumée. Elle le lâcha et s’agrippa activement à l’autre… qui n’était pas assez puissant pour la porter seul. Elle s’en rendit compte quand elle commença à descendre, et se retrouva au même niveau que ses détracteurs qui la visait de balle et d’insulte. Rester accrochée était trop dangereux. Elle prit une grande inspiration, lâcha le second drone et… commença une chute le long de la falaise qui se finit par un grand fracas dans l’eau.

23 Mai 2241 – Tard dans la nuit

Elle remonta à la surface, persuadée que c’était la fin. De l’air vite ! Elle prit une grande inspiration et eut à peine le temps de replonger que d’autres tirs lui arrivaient dessus. Ces quelques secondes au-dessus de la surface avaient révélé sa position. Une balle lui effleura l’oreille droite, et elle en sentit une passer juste au-dessus de sa tête. C’était moins une. Elle ne pouvait plus se permettre de remonter à nouveau. Aussi, elle plongea profondément pour qu’ils perdent sa trace. Elle nagea aussi vite que possible, avec toutes les forces qui lui restaient, et la douleur dans sa cuisse qui s’intensifiait au fur et à mesure qu’elle l’usait. Les tirs semblaient s’être taris. Elle remontait de temps en temps à la surface, ne faisant dépasser que ses lèvres à l’extérieur pour faire rentrer dans son corps l’oxygène bienfaiteur. Elle continua sa nage, jusqu’à être persuadée que plus personne ne la visait. Alors elle prit un moment pour sortir la tête de l’eau. La mer était calme, la côte désormais loin. Elle avait beaucoup nagé estima-t-elle, même si la nuit la trompait sur les distances réelles. Elle continua doucement sa brasse, essayant d’économiser les dernières forces qu’il lui restait. Elle nagea encore un long moment, jusqu’à ce que des algues commencent à lui chatouiller les pieds. Elle envoya un pied verticalement et toucha le fond, alors, elle commença à marcher dans l’eau. L’îlot devait être proche. Elle marcha encore un long moment, de l’eau jusqu’à mi-cuisse, avant que le sol ne commence à remonter. Elle trainait désormais sa jambe meurtrie, sous la lumière de la lune qui tentait autant qu’elle pouvait de lui éclairer le chemin. Quand elle sortit enfin de l’eau, elle s’affala sur le sable de l’îlot, essoufflée. Elle tentait de se calmer. De reprendre une respiration normale. Elle roula sur le dos et se cacha les yeux. Une vive lumière blanche l’éblouissait. Elle se redressa et dans le même mouvement, quelque chose la souleva comme pour la remettre debout. Elle sentit le mordant d’une lame se poser sur sa gorge… qui lui coupa le souffle. A jamais.

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